« Te souviens-tu ? Te souviens-tu de tout ? Te souviens-tu de nous ? Là où te trouves, te souviens-tu ?

Moi, je me souviens. Certaines images sont floues, d'autres sont plus nettes, d'autre encore sont enfermées dans les tréfonds de ma mémoire et n'en sortiront probablement jamais car avec l'âge, certains souvenirs se perdent, meurent et disparaissent à jamais. Il est des choses que notre esprit ne parvient pas à garder vivant, c'est comme ça. Elle, j'aurais voulu pouvoir la garder vivante... Tu m'en as parlé, tu m'en a tant parlé que j'avais l'impression de me souvenir mais en réalité, je ne me suis jamais rappelé d'elle, jamais. J'aurais voulu pourtant voir son visage, entendre sa voix ou même rien que son rire car elle riait, je sais qu'elle riait car tu me l'as dit. Tu m'as dit qu'elle était le soleil dans les ténèbres de ton existence. Tu m'as dit que tu l'as aimée dès le premier regard. Tu m'as dit que tu as essayé de résister mais qu'elle t'a fait chavirer et que tu as succombé bien volontiers. Tu m'as dit que tu as eu peur pour elle à bien des reprises mais qu'elle a toujours trouvé les mots pour te rassurer et pour calmer cette inquiétude qui te serrait les entrailles. Tu m'as dit qu'elle était une femme merveilleuse, une femme unique : qu'elle était celle dont tu avais rêvé sans même le savoir. Tu m'as aussi dit qu'elle était une bonne mère, qu'elle m'aimait du fond de son cœur et qu'elle aurait tout sacrifié pour moi, même sa propre vie. Sa vie... J'avais six ans quand elle a disparu. Six ans.... Je l'ai cherchée longtemps, tu me l'as dit. Je l'ai appelée longtemps, tu me l'as dit. Puis, avec le temps, j'ai fini par arrêter de la chercher et toi... Toi, malgré ton chagrin, tu t'es occupé de moi et c'est à partir de ce moment-là que nous nous sommes rapprochés. Oui, c'est à partir de ce moment-là que tu es devenu mon tout, que tu es devenu mon monde.

Je me souviens à quel point j'ai pu t'admirer, à quel point j'ai pu être fier d'être ton fils, même petit, même alors que je n'avais pas encore atteint l'adolescence. Tu étais un héros, tu étais le héros de tous mais tu étais surtout mon héros. Comme j'ai voulu te ressembler alors, comme j'ai voulu être aussi fort que toi... J'ai voulu devenir un héros moi aussi mais toi tu ne voulais pas. Aujourd'hui, je comprends pourquoi : tu voulais simplement me préserver, tu voulais m'empêcher de sombrer dans les ténèbres comme tu avais toi-même pu y sombrer. Je ne voulais cependant pas t'écouter. Je ne regrette pas de ne pas t'avoir écouté, je ne regrette pas d'avoir insisté mais je veux juste que tu saches que je comprends, que je sais que tu n'as pas agi de cette façon parce que tu ne me croyais pas capable d'accomplir ce que toi tu réussissais à accomplir : je sais que tu voulais juste me protéger et je ne veux pas que tu penses que tu as échoué. Tu m'as protégé, tu as fait de ton mieux et tu m'as rendu heureux quand tu as enfin accepté de m'enseigner ce que tu savais. Tu m'as rendu heureux quand tu m'as pris sous ton aile comme l'aurait fait un entraîneur et toi, tu étais entraîneur, mentor et père : tu étais tout cela à la fois. J'ai grandi, j'ai appris, beaucoup appris puis j'ai cessé de m'améliorer. Je suis arrivé au bout de ce que je pouvais apprendre et je l'ai mal vécu. Je l'ai très mal vécu et c'est pour ça que je t'ai demandé ce que tu as d'abord jugé impensable. En fait, je crois que jusqu'au bout tu as jugé ça impensable, n'est-ce pas ? Demander à perdre la vue... Ce jour-là restera toujours gravé dans ma mémoire car c'est en donnant forme à mes pensées que j'ai réalisé à quel point j'étais dans le vrai et à quel point il m'était nécessaire de perdre la vue pour être ton égal. Tu ne voulais pas. Tu voulais continuer à m'enseigner de la même façon en créant une cécité qui n'était pas réelle, pas assez réelle pour que je sois aussi fort et agile que toi. C'est pour cette raison que je voulais perdre la vue. Tu étais tellement contre cette idée que j'ai sincèrement cru que tu allais finir par m'assommer pour essayer de me remettre les idées en place mais je n'ai pas abandonné, je t'ai parlé, je t'ai expliqué et le fait est que tu as compris où je voulais en venir, même si cela te faisait mal. Je t'ai fait beaucoup de mal ce jour-là, n'est-ce pas ? Oui, je t'ai fait du mal et je le regrette mais c'était mon choix et si je regrette de t'avoir fait du mal, je ne regrette pas d'avoir décidé de franchir ce pas, de prendre cette décision irréversible car elle a changé ma vie : en bien, contrairement à ce que tu craignais.

Je me souviens des sensations nouvelles, de cet autre monde qui s'est ouvert à moi. Je me souviens des heures passées à apprendre ce que tu avais toi-même appris jadis. Je me souviens aussi des heures passées à travailler dans ma chambre car tu tenais à ce que je fasse des études et j'y tenais aussi : je ne voulais pas n'être quelqu'un qu'à la nuit tombée, je voulais aussi être quelqu'un le jour. J'aurais pu être avocat, comme toi, mais même si défendre les autres m'attirait, je voulais m'occuper d'eux, je voulais aider d'une toute autre façon. Alors j'ai appris, j'ai passé le concours et je me souviens de ta joie quand j'ai réussi, quand je suis devenu officiellement physiothérapeute. Ce que toi tu m'as appris m'a beaucoup aidé car je sentais tellement bien les choses que cela m'a permis d'exceller dans ce métier qui est devenu le mien. Puis il y a eu ces nuits où je t'ai accompagné, où nous avons formé une équipe pour un temps bien trop court finalement. J'aurais voulu que cela continue. J'aurais voulu être à tes côtés encore longtemps, j'aurais voulu me battre avec toi et non pas le faire en ton nom mais si la vie est faite de choix, il arrive bien souvent qu'il nous faille faire avec ce que la vie nous enlève sans nous laisser le choix. Tu m'as menti mais je ne t'en veux pas. Je comprends pourquoi tu l'as fait et je ne crois pas que me dire la vérité aurait été mieux. J'aurais eu tellement peur au quotidien... J'aurais vécu en sachant que ta fin approchait sans rien pouvoir y faire et cela m'aurait été insupportable, à n'en pas douter...

Je me souviens de ta main dans la mienne, je me souviens de tes doigts serrés autour des miens, je me souviens de ton regard voilé mais de ton sourire sincère et ampli de fierté. Je me souviens de tes mots, de ta tendresse, de ton amour. Je me souviens de ce dernier soupir quand la vie t'a définitivement quitté. Je me souviens de ma détresse, de ma tristesse, de ma douleur. Je me souviens avoir hésité à oser porter ton costume. Je me souviens avoir eu peur de ne pas être à la hauteur mais j'ai fini par oser. J'ai quitté New-York quand tout a foutu le camp, quand la terre a décidé de se faire entendre et qu'elle a détruit plutôt que de laisser l'homme détruire. Je suis allé là où je devais aller, là où j'estimais pouvoir faire du bien aux gens, pouvoir peut-être même changer vraiment les choses. Est-ce que j'ai réussi ? Non papa, je n'ai pas encore réussi. J'aide, bien sûr que j'aide mais ça ne suffit pas : je ne sais pas ce qu'il faut faire pour que ce soit suffisant. Et puis, je ne suis pas comme toi, j'en ai conscience. Ces ténèbres que tu craignais, que tu ne voulais pas me voir caresser et embrasser, si tu savais à quel point elles sont présentes, à quel point elles m'enveloppent parfois au point de m'empêcher de respirer... Je ne suis pas comme toi papa, je ne suis pas aussi bon que tu l'étais mais je fais ce que je fais parce qu'il faut que cela soit fait. J'ai compris qu'il faut accepter de damner son âme si cela peut sauver celle des autres... La tienne, elle n'a pas été souillée, elle a été sauvée et c'est très bien comme ça. Quant à la mienne, ça n'a pas d'importance : tant que je parviens à protéger ceux qui en ont besoin, on se fiche de mon âme, non ?

Te souviendras-tu papa ? Te souviendras-tu de celui que j'ai été et non pas de celui que je suis ? Te souviendras-tu de ce fils que tu as tant aimé et qui avait rempli ton cœur de fierté ? Te souviendras-tu que même dans les ténèbres j'essaye juste de faire ce qui est juste et de te faire honneur ?

Et papa, me pardonneras-tu ? »  

Ça y'est tu es ENFIN validé(e), c'est cool hein ? Maintenant pour te faciliter la tâche, voici un petit résumé des coins importants du forum qui te seront bien utiles pour ne rien louper . Les champs "" sont à faire obligatoirement